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7 janvier 2007

Délivrez Proust

proust

ELLE

L'oeuvre de Monsieur Proust est une miniature géante, c'est un prodigieux labyrinthe à ciel ouvert. C'est tout simplement magique. Entendez donc comme sa phrase est chantante, argutieuse, raisonneuse, répondant à des objections qu'on ne songerait même pas à formuler, soulevant des difficultés imprévues, subtile dans ses déclics et ses chicanes, étourdissante dans ses parenthèses qui la soutiennent en l'air comme des ballons, vertigineuse par sa longueur, surprenante par son assurance cachée sous la déférence, et si bien construite malgré don décousu.

LUI

Vous ne m'emberlificoterez pas avec votre prose à deux sous et vous ne pouvez niez que votre Proust a bien des détracteurs et à la fois bien plus célèbres et bien plus virulents que moi...

ELLE

Ah oui lesquels?

LUI

Céline...Je cite: " Ah Proust! S'il n'avait pas été juif, personne n'en parlerait plus! Et enculé! Il n'écrit pas en français mais en franco-yiddish tarabiscoté hors de toute tradition française. Il faut revenir aux Mérovingiens pour retrouver un galimatias aussi rebutant. Pourtant, je lui reconnais un petit carat de créateur, ce qui est rarissime, il faut l'avouer. Mais quand même, 3000pages pour savoir qui encule qui...vous avouerez! "

ELLE

Absurde et immonde...

[...] Quatrième tableau [...]

A l'automne 1919, j'ai demandé à un ami de m'apporter de France un exemplaire du Côté de chez Swann. Mais il ne l'a pas fait et en 1922, je n'avais toujours rien lu de vous. Tout le monde autour de moi vous lisait, j'écoutais en silence et il semblait que ce soit une expérience inoubliable de lire du Proust. Moi, je retardais le moment, tremblante à me jeter à l'eau, m'attendant à être absorbée par la sensation terrible de couler, de couler de plus en plus profond, sans jamais peut-être pouvoir remonter à la surface. Puis je m'y suis mise et ce que j'avais prévu est arrivé : la catastrophe et le bonheur. J'avais toujours ressenti que la pensée humaine est incessante et s'écoule en chacun de nous, démembrée, sans contrôle ni règle, qu'elle est notre flux de conscience. Et voilà que quelqu'un, vous, arrivait à le traduire, le cerner, ce flux...Quelqu'un, enfin, avait réussi à fixer ce qui avait toujours échappé...et l'avait transmué en une substance d'une beauté parfaite, durable. Je me suis écriée : si seulement je pouvais écrire comme ça...J'ai éprouvé quelque chose de purement sexuel et j'ai eu l'impression que je pouvais écrire comme ça. Je me suis emparée de ma plume pour constater que...non, il n'y avait rien à faire, je n'y arrivais pas! Régulièrement, je prenais votre livre aprés le dîner, je le reposais. C'était le moment le pire. Cela me donnait des idées de suicide. Il me semblait qu'il n'y avait plus rien à faire. Tout paraissait insipide et vain. Je pleurais...A quoi bon écrire après cela...Et j'ai préféré renoncer. Non pas à écrire mais à cette souffrance de vous lire. J'ai achevé Mrs Dalloway. Par instant je n'étais pas mécontente puis à voix haute, je m'écriais : "Oh bien sûr rien de comparable à Proust" Après plus de dix ans, je me suis replongé dans "La Recherche". Je savais que j'allais mourir bientôt et je ne voulais pas me priver de vos livres.

"Magnifique bien sûr ; disais-je, inutile d'espérer me hausser à son niveau. Dieu que mes livres sont mauvais en comparaison..." Mais j'ai accepté, accepté ne savoir que balbutier. Après vous que restait-il donc à écrire? Vous m'avez toujours fait peur...enivrée et fait peur à la fois... Nous ne nous sommes jamais rencontrés, vous n'avez-vous jamais eu connaissance de mon existence, mais entre nou il ya d'étranges et précieuses ressemblances... Tous les deux, nous avons écrit sous la pression de la maladie et de la mort. Elle nous a guettés, vous la maladie, moi la folie et le suicide. Il a donc fallu la prendre de court si l'on voulait accomplir ce qu'on s'était promis de faire. Entre elle et nous c'était une course haletante.

Vous, vous disiez : je souffre, je vais mourir! On disait "ah non vraiment quel coquet!" Et puis au début du printemps de 1922 vous avez mis le mot fin à votre livre et vous êtes mort le 18novembre. Ce qu'il y a de remarquable dans voter oeuvre, c'est cette combinaison d'extrême sensibilité et d'extrême acharnement. Vous scrutez le papillonnement des nuances jusque dans leurs plus infimes composants. Vous brouillez les pistes! [...]Je sais que vos livres comme les miens, on finira par les oublier... Le livre est un grand cimetière où, sur la plupart des tombes, on ne peut plus lire les noms effacés. Mais vous avez apporté à la littérature, à la vie même, une notion inestimable : la patience...Vous êtes la Patience. Ma seule grande aventure c'est vous...

"Etant donné que nous sommes une race condamnée, que nous sommes enchaînés à un navire qui fait naufrage, décorons notre cachot avec des fleurs et des coussins ; conduisons-nous le moins mal possible. Ces bandits, les dieux, ne gagneront pas entièrement la partie." VIRGINIA WOOLF

[...] Huitième tableau [...] 

LUI

Alors s'installa définitivement en moi cette idée de la mort, comme fait un amour. Non que j'aimasse la mort, je la détestais. Mais après y avoir songé de temps en temps comme à une femme qu'on aime pas encore, maintenant sa pensée adhérait à la plus profonde couche de mon cerveau. Et je compris alors...Je compris que l'oeuvre d'art est le seul moyen de retrouver le Temps perdu. Victor Hugo dit; "il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent."

Moi je dis que la loi cruelle de l'art est qu'il faut que les êtres meurent et que nous même mourrions en épuisant toutes les souffrances pour que pousse l'herbe non de l'oubli mais de la vie éternelle, l'herbe drue des herbes féondes. L'herbe sur laquelle, les générations viendront faire gaîment sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur "déjeuner sur l'herbe"

ELLE

Il en est de la vieillesse comme de la mort. Quelques uns les affrontent avec indifférence, non pas parce qu'ils ont plus de courage que les autres mais parce qu'ils ont moins d'imagination.

"Délivrez Proust" --Déclinaison loufoque et sentimentale --Texte de Philippe HONORE

tract_delivrez_proust

Théâtre Lucernaire

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